À Edin

À Ylann et Silas

 

Voyage au bout de soi

Marie-France Bojanowski

 

1993 – 2012

Presque vingt ans. Par où commencer?

  1. Montréal. Vingt-quatre ans. Amoureuse. Un chum, un chat. Cheveux courts. Fraîchement diplômée. Candide, avide, passionnée. Trois passeports. Bilingue. En route vers le bout du monde.

Que reste-t-il de cette expérience initiatique qui m’a fait grandir, celle qui refait parfois surface, le temps d’une odeur ou d’un son qui passe? Comment faire le tri de sa mémoire? L’écriture est difficile, ce sont les concepts et les images que je sais faire.

  1. Zurich. Quarante-trois ans. Mariée, deux enfants. Cheveux longs, plusieurs gris. Expérimentée, insatiable, fascinée, réfléchie. Trilingue, immergée dans une culture alémanique. Nationalités? Bientôt quatre. En plein voyage de la vie.

Pendant longtemps, c’est ce que j’ai filmé dont je me suis souvenu. Je me rappelle qu’à la fin de mon voyage, plusieurs fois j’ai volontairement laissé ma caméra dans son sac pour m’approprier le moment présent de mon voyage. Je ne voulais plus l’enfermer dans une boîte à images, avec l’espoir qu’il resterait en moi, immatériel et éternel. Les histoires que l’on raconte dans un film deviennent autonomes et ont une vie qui leur est propre. Ce n’est donc pas de ces films dont je veux parler, ils portent déjà un morceau du miroir de mon voyage.

De l’autre côté du miroir, il y a le temps et les archives. Et surtout, une force qui continue de nourrir mon quotidien et de m’inspirer. Je suis donc allée chercher ma grosse boîte, celle que j’ai trimbalée toutes ces années et déménagée jusqu’en Suisse où je vis maintenant. Dedans, j’y ai retrouvé 58 cassettes SVHS-C – tiens, où est ma caméra? –, neuf cassettes de musique, une tonne de plans de montage, plein de paperasse de production, un dossier de presse et un courrier de ministre. La chose la plus précieuse de toutes: un livre-objet composé d’artefacts de tout genre, fidèle compagnon de voyage, mon témoin le plus cher.

On m’a souvent demandé comment j’ai eu l’idée de transformer mon carnet de notes en objet-musée, livre utile et inspirant, mais combien lourd et encombrant. Une anecdote me revient. Peu avant mon départ de Montréal, j’avais croisé Simon Dallaire qui venait de terminer sa course. Je me souviens lui avoir demandé :

– «Si tu n’avais qu’un seul conseil à me donner, lequel serait-il?»

Et de répondre Simon:

– «Apporte une brocheuse, c’est très pratique. »

Plutôt pragmatique, voire même administratif comme suggestion! J’ai tout de même embarqué l’agrafeuse dans mon sac et c’est probablement l’outil fidèle, avec mon canif, qui est à l’origine de ce livre- objet.

J’ai composé plusieurs livres-objets au cours de mes voyages par la suite. C’est un équilibre entre le contact avec l’extérieur et la connexion avec moi-même, particulièrement dans un contexte documentaire où l’on est en état d’observation et d’écoute pour composer à grande vitesse – généralement en déphasage total avec la vitesse du lieu où l’on se trouve – un film, témoin de cet espace-temps. Composition non-narrative de moments figés sur des pages dont je suis la seule destinataire, c’est peut-être une sorte de contrepoids à la vitesse d’absorption de l’inconnu qui me permet avec le temps de ressentir (plutôt que lire) ce voyage qui m’a transformée.

En parcourant quelques morceaux choisis du livre-objet, de mes plans de montage ou du courrier postal de mes proches ou d’inconnus, je partage un autre voyage que celui dont témoignent les films que j’ai faits: celui qui subsiste en moi, celui qui existe toujours.

 

Contact

Contact. État ou position de deux corps ou substances qui se touchent.

État ou action de personnes qui sont en relation, qui communiquent entre elles, qui se fréquentent. Personne avec qui on est en relation, avec qui on entre en rapport pour se procurer quelque chose, pour obtenir des renseignements. Communication, relation entre des personnes, des groupes. État de quelqu’un qui est proche de la réalité, qui fait l’expérience d’une activité, d’une relation avec l’extérieur de manière concrète.

 

Les aéroports m’ont toujours fascinée et me fascinent encore. Non-lieux d’entre-deux, zones d’attente et d’intersection, je ne me suis jamais lassée de ces moments arrêtés en plein tumulte d’affluence. J’aime imaginer les coïncidences potentielles de tous ces croisements rapides, les coïncidences ratées de quelques secondes. Des coïncidences qui ne sont finalement pas tout à fait des coïncidences…. Still frame sur…? C’eût été un film intéressant, certainement.

 

  1. PHOTO/ Extrait livre-objet / billet d’avion Roumanie

Je garde un billet d’avion de Tarom Airlines agrafé dans mon livre. C’est un petit bout de papier recyclé annoté à la main qui m’avait coûté quatre dollars US pour aller de Bucarest à Baia Mare. Cet avion est l’un des plus piteux que j’ai pris dans ma vie: pendant tout le voyage, il a fallu que je tienne le dossier brisé du siège devant moi pour qu’il ne tombe pas sur mes genoux, la cabine était si mal insonorisée qu’on s’entendait difficilement parler et la nourriture, n’en parlons pas. La dame assise à côté de moi était très amusée de cette situation et nous avons commencé à converser. Elle me demanda ce que je venais faire en Roumanie, je lui parlai de mes idées de films et d’un certain Radu Big que je ne connaissais pas mais dont j’avais les coordonnées et que j’avais plusieurs fois tenté de joindre sans succès. Il s’avère que cette dame avait connu son père et elle voulut m’aider à le retrouver. Arrivées à destination, elle m’offrit l’hospitalité et s’occupa de moi comme une grand-mère en me promettant de retrouver Radu Big. Ce qu’elle fit. Le lendemain, il vint à ma rencontre et était si enthousiaste de m’accueillir avec sa famille, qu’il avait pris une semaine de vacances pour me recevoir et m’accompagner. Je fus très touchée par la générosité de cette rencontre inattendue. Radu et sa famille ont partagé avec moi leur toit, leur temps et leurs amis, j’étais chez moi en Roumanie.

 

  1. PHOTO: Extrait plan de montage /dessins rushs de films Moldavie (Roumanie)

Tout au long de mon voyage j’ai rencontré la générosité de gens que je ne connaissais pas et que je n’ai jamais revus. Le temps n’a pas de prix aujourd’hui et c’est le temps que ces gens m’ont offert. Prendre le temps de s’ouvrir à l’autre, c’est se donner le luxe de la lenteur. La lenteur permet de se connecter au moment présent et de capter les coïncidences, voire même de les provoquer. Moi qui courait d’un pays à l’autre, j’ai goûté à cette lenteur avec parcimonie, juste assez pour savoir qu’elle est trop rare dans ma vie.

 

  1. PHOTO OU TEXTE / Extrait courrier: lettre de Patrick (qui s’est quelques temps après installé au Japon après être tombé amoureux d’une japonaise), 3 déc 1993

« Mawie, Bienvenue au Japon! Comment te considèrent-ils? Es-tu vraiment inférieure… Est-ce une île hermétique abritant une civilisation intermédiaire entre les fourmis et les hommes, promise à une dégénérescence? As-tu compris et apprécié cet éternel masque qu’est ce sourire? As-tu compris que je n’aime pas le Japon?»

On peut aussi mettre Texte ET photo si vous le désirez.

 

J’avais quitté Osaka en direction de l’île de Shikoku où j’allais tourner un film sur le papier. Dans le flot humain de la gare d’Osaka, un homme m’a demandé s’il pouvait m’accompagner pour pratiquer son anglais. C’est surprenant la première fois, mais ça (m’) arrive souvent au Japon. Je ne sais pas où allait cet homme d’affaire avant de me croiser sur son chemin, mais nous avons conversé jusqu’à Wakayama, où j’allais prendre l’aéroglisseur pour l’île de Shikoku. Sympathique. Arrivée à Tokushima j’ai réussi à attraper le dernier train qui m’amènerait à destination. Les gens rentraient pour la plupart de leur travail. Le train était bondé, mais se vidait petit à petit, à chaque arrêt. Dans mon wagon il y avait un salary man, homme en veston-cravate-attaché case, qui me regardait parfois du coin de l’œil. Cela ne m’étonnait pas car j’étais en fait la seule gaijin dans le train et que, chaque fois que le train s’arrêtait, j’essayais de décoder les panneaux japonais de la gare pour m’assurer de ne pas manquer ma station. Je finis par descendre sur le quai de la gare d’Awayamakawa où devait m’accueillir quelqu’un de la fabrique de papier. Tous les gens avaient quitté la gare, il ne restait plus que moi. La personne que j’espérais voir n’était pas là. Il était tard et le dernier bus pour ma destination était déjà passé. Alors que je me demandais ce que j’allais faire dans cette petite ville endormie, j’aperçus l’homme au veston au bout du quai. Il regardait dans ma direction, semblant vérifier si on venait me chercher. L’homme finit par venir à ma rencontre pour me demander où j’allais. Vu mon désarroi, il me proposa de venir passer la nuit chez lui avec sa famille. Je me souviens d’un trajet en voiture sur une route peu éclairée et d’être arrivée dans une maison où tout était sans dessus-dessous. Nous sommes entrés, l’homme m’a présenté à sa femme et lui a demandé d’aller préparer à manger. Il était tard, mais les enfants n’étaient pas couchés et tout le monde semblait très affairé. La femme m’a apporté un repas chaud qu’elle a déposé sur le kotatsu, la traditionnelle table chauffante recouverte d’une couverture, sous laquelle on glisse les jambes. Elle s’est excusée de me laisser manger seule parce qu’elle devait vite finir les valises: ils avaient un avion dans quelques heures pour aller à Hokkaido. L’homme revint en me disant qu’il avait téléphoné et que l’on viendrait me chercher le lendemain pour m’emmener à Yawakamacho. Tout en s’excusant de partir en voyage, il me fit faire le tour du propriétaire, me montra ma chambre et me donna les clés de la maison! Juste avant de quitter les lieux, l’homme pointa du doigt une pièce fermée et me dit de ne pas m’inquiéter si jamais j’entendais du bruit: c’était la grand-mère malade qui dormait, mais elle ne me dérangerait pas… Oyasumi Naisai!

Il m’arrive de repenser à cet homme japonais, ce qui me renvoie à ma propre perception de l’étranger quand je suis dans mon quotidien: est-ce que moi aussi je donnerais les clés de ma maison à un inconnu rencontré au terminus du dernier train?

 

  1. PHOTO / Extrait plan de montage / Film à Tokyo (dessins, notes)

Faire La Course en 1993, c’était partir avec un billet d’avion de deux centimètres d’épaisseur, 60 cassettes SVHS-C, des cassettes audio, pas de CD. Evidemment pas de laptop ni de portable, et encore moins de courriel. Ni Skype, ni Facebook, ni Google. C’était encore l’époque des lettres et des timbres, les appels téléphoniques étaient des moments choisis et les communications internationales étaient parfois inaccessibles. C’était avant l’ère du portable et beaucoup de gens n’avaient pas le téléphone chez eux: on allait à la centrale. Pour les communications écrites urgentes, on envoyait des fax (bien que nous n’avions pas le droit d’utiliser le fax pour envoyer nos plans de montage de dernière minute). La caméra analogue était volumineuse et muni d’un moniteur noir et blanc sans time-code. On avait besoin d’une montre pour noter le contenu de nos cassettes de tournage et les plans de montage étaient nécessairement approximatifs. Le montage analogue linéaire était fait à Montréal, on envoyait cassettes et plans de montage par courrier express coûteux, DHL, TNT, Fedex. Moi j’allais souvent directement chez Lufthansa à la section cargo de l’aéroport parce que les délais étaient plus courts, ce qui me donnait plus de temps pour travailler. Mais il fallait dédouaner soi-même, ce qui à Istanbul ou New Dehli pouvait se transformer en vrai cauchemar!

 

Pour ma part je vivais un voyage totalement décalé de La Course diffusée à la télévision. Je ne l’avais regardée qu’une seule fois au Japon et cela m’avait suffi. Mon immédiat était lié à ma réalité physique, j’étais déconnectée de mon monde et cela m’aidait à trouver la concentration et l’énergie pour continuer d’avancer. Les films étaient la seule vitrine de mon voyage que j’envoyais à l’aveugle vers l’extérieur, les livrant à eux-mêmes alors que j’étais déjà ailleurs. User not online.

 

  1. PHOTO OU TEXTE / Extrait plan de montage /notes à Denis Gathelier, monteur, Kalimantan Central, Bornéo, Indonésie

«Salut Denis, C’est TRÈS dur de tourner ici… On attend, on attend, on attend encore. Et puis, la rivière est bloquée, on fait demi-tour. Et on revient avec un canot douteux. Et l’eau s’infiltre… et s’accumule (rappelons-nous des crocodiles dans la rivière). Et voilà que le canot coule! Nous nous retrouvons perchés dans des branches au-dessus de l’eau, avec l’équipement vidéo sauvé de justesse! (C’est Claude qui va être content!)»

 

Quitte à passer pour un dinosaure, je me trouve chanceuse d’avoir vécu cette expérience avant l’avènement des réseaux sociaux, de la télé-réalité et de YouTube. L’isolement m’a procuré le décalage nécessaire pour m’ouvrir à l’inconnu et digérer le dépaysement. Pour moi, l’immédiat n’avait sa place que localement et géographiquement. Partager mon voyage en direct sur un blogue aurait été de me regarder moi-même voyager. C’est un peu ce que j’ai fait avec le livre-objet, mais avec une matérialité et une temporalité qui n’avaient pour destinataire que moi. Est-ce que l’expérience initiatique aurait été aussi forte avec un iPhone, Facebook et Skype? Certainement très créative, mais fort différente. Tout ce que je sais, c’est que ce moment condensé de ma vie m’a permis un contact privilégié avec moi-même et avec autrui. Être en contact avec soi-même permet de rencontrer l’autre. Et d’être en contact avec soi-même, c’est retrouver son instinct.

 

Instinct et intuition

Instinct. Impulsion innée, automatique et invariable qui régit le comportement de tous les individus d’une même espèce. Avoir un don, une disposition naturelle, une aptitude à sentir ou à faire quelque chose.

 

  1. PHOTO / Extrait livre-objet / Îles Féroé (laine, plume, carte géo, étiquette bagage avion)

 

C’était au tout début de mon voyage. Je quittais New York avec comme destination les Îles Féroé, un petit archipel danois entre l’Islande et l’Écosse. Après un arrêt à Paris pour célébrer mon anniversaire avec ma mère, ma grand-mère et mes cousins, j’ai atterri à l’aéroport Heathrow de Londres où je devais passer la nuit en attendant l’avion qui m’emmènerait à Glasgow aux aurores, le lendemain. Il était 20 heures. J’avais décidé de profiter de cette soirée pour aller me promener à Londres et rentrer avec le dernier train. Il fallait me délester de mon gros sac à dos que j’apportai à la consigne de bagages. Derrière le comptoir un homme s’affairait à entreposer les valises d’une file de voyageurs impatients. J’attendais, patiemment… Quand vint mon tour, je demandai au commis quelle était la façon la plus rapide pour faire un aller-retour à Londres dans la soirée. Il me répondit qu’il était déjà trop tard pour que ça vaille la peine. J’allai m’informer ailleurs parce que j’avais vraiment envie de physiquement toucher le sol de Londres.

Il s’avèra que le commis avait raison et que malgré mes recherches, je conclus assez vite que j’allais passer ma soirée et ma nuit à l’aéroport. Il fallait donc que je retourne à la consigne de bagages pour récupérer mes notes afin d’écrire mon plan de montage – un film sur Gaetano Pesce, tourné à New York. Le commis était content de me prouver qu’il avait raison, mais moins heureux que je redemande mon bagage le temps de sortir ce dont j’avais besoin.

– «You should pay twice if you want to check your baggage in again.»

J’insistai sur le fait que ça ne prendrait qu’une minute, que je voulais travailler sur mon film, que je n’avais pas beaucoup de moyens, enfin bref. Le commis, Hamid Chaudry, était afghan et avait immigré en Grande-Bretagne quelques années auparavant. Sa famille était toujours là-bas. Il me posa beaucoup de questions et ne comprenait pas que je voyage seule, ce qu’il considérait dangereux pour une femme, particulièrement au Pakistan où je planifiais aller. Il trouvait aussi dommage que je quitte Londres sans l’avoir visitée et me proposa de m’emmener voir Picadilly Circus après son quart de travail à 23 heures et de me ramener. Evidemment, je lui répondis que non, que je ne le connaissais pas et que je n’allais pas partir en voiture avec lui tard le soir à Londres!

– «You can trust me, I am a nice person, I promise you.»

Moi, de répondre automatiquement:

– «Lesson number one: don’t follow a stranger in a car.»

Notre échange fut bref et sympathique, puis je partis me trouver un petit coin pas trop bruyant pour écrire.

 

  1. PHOTO/ Extrait plan de montage / film Gaetano Pesce (dessins, notes)

 

Il approchait les 23 heures quand je réalisai que je voulais ma brosse à dents. Je me dépêchai d’arriver avant la fermeture du dépôt de bagages:

– «Sorry, my toothbrush…»

Notre conversation reprit. Hamid essayait de me convaincre d’accepter son invitation tout en me mettant en garde sur les dangers que courait une femme à voyager seule. J’étais étonnée qu’il ne voit pas de contradiction entre sa proposition et ses recommandations. D’un autre côté, je lui faisais intuitivement confiance. Gut feeling. En pleine conversation, lui à essayer de me convaincre et moi à raisonnablement décliner son offre, un processus parallèle s’opérait dans ma tête. Je me disais que si je voulais vraiment vivre le voyage dans toute son intensité, il fallait faire confiance. Se faire confiance. Aller à la rencontre des autres pour aller à la rencontre de soi. Je coupai net à la conversation:

– «OK. Now is the time to test my intuition. I trust you and I am going to go with you, in your car. You will show me the Picadilly Circus and drive me back to the airport after. I trust you, don’t disappoint me.»

Voilà. Advienne que pourra.

 

Intuition. Connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement, à l’expérience.

 

Hamid était surpris, peut-être même intimidé. Tout au long du parcours, il donnait des repères pour me montrer que j’avais raison de lui faire confiance. Et comme dans un voyage organisé que je n’aurais jamais fait, mon guide me montra l’attraction touristique et me ramena à l’aéroport, en prenant soin de m’offrir à manger en rentrant.

– «Please call me when you are back in London, you will be my guest and I will show you around properly.»

Je ne suis jamais retourné à Londres, mais j’ai agrafé le coupon de la London Baggage Company Ltd sur une page de mon livre.

Après avoir voyagé partout, seule et dans toutes sortes de conditions, ce moment peut sembler bien banal. Mais avec du recul, je le considère comme une charnière. Du haut de mes vingt-cinq ans, je portais un regard naïf et raisonnable sur le monde. Il fallait que je remette mes références à zéro pour me permettre la spontanéité de l’intuition plutôt que prioritairement la raison. Le voyage, c’est comme la vie: le train passe, on embarque ou on laisse passer. Parfois ça va très vite. Mais ce qu’il y a d’unique quand on voyage seul, c’est cette bulle de solitude dans laquelle on se retrouve, qui à la fois nous isole, nous vulnérabilise et nous protège. Moustaki l’a chantée, et moi aussi : Je m’en suis fait presqu’une amie, elle m’a suivi ça et là, aux quatre coins du monde…

 

  1. PHOTO / Extrait courrier / scan lettre de Carole Frève envoyée au Japon, timbres du Canada

 

La solitude peut être très dure quand on est à l’autre bout du monde, là où personne ne comprend notre langue et qu’on cherche par tous les moyens à réaliser un film. D’un autre côté, elle nous ramène aux éléments basiques de notre essence humaine: les sens et notre connaissance intrinsèque du monde. Il y a là quelque chose de presque animal qui relève de l’adaptation. S’adapter ou mourir. Me retrouver seule en terre étrangère a redonné toute sa place à mon instinct. Instinct de survie, instinct social, instinct esthétique.

 

Nature et culture

Nature. L’inné par opposition à l’acquis. Essence, ensemble des propriétés qui caractérisent un objet ou un être. L’ensemble des phénomènes matériels, liés entre eux par des lois scientifiques.

 

Voyager au Sultanat d’Oman a été à la fois merveilleux et très difficile. Aride et luxuriant comme le fut mon parcours dans ce pays, Oman est l’un des plus beaux endroits de la planète. Une vaste plaine désertique de strates rocheuses et de dunes de sable couvre la majeure partie du territoire. On y croise des dromadaires, mais peu de gens. Des oasis sont nichées au cœur d’un impressionnant massif montagneux et sous les palmeraies et les dattiers se cachent des villages gardés par des forts. L’eau y est précieuse et judicieusement distribuée par les falajs, des systèmes d’irrigation vieux de 4500 ans. La montagne est entaillée de profondes gorges, les wadi, cours d’eau en partie asséchés, qui mènent à des piscines naturelles d’eau turquoise et des cascades dissimulées dans des cavernes. La côte omanaise est parsemées de milliers de criques désertes et de grandes plages avec un patrimoine naturel d’une rare richesse.

 

Je n’avais pas obtenu de visa pour le Sultanat d’Oman. À l’époque, les étrangers étaient pour la plupart des expatriés de l’Occident ou des travailleurs des Philippines, de l’Inde ou du Bengladesh. Une femme voyageant seule avait bien peu de chance d’y entrer. J’avais par contre réussi à obtenir un visa pour Abu Dhabi via l’Ambassade de France, là où un ami à moi faisait son service national de coopération – côté pratique ce la multicitoyenneté. Une fois aux Émirats Arabes Unis, j’ai pu avoir un visa et entrer en Oman. Les temps ont changé depuis, aujourd’hui les publicités touristiques pour les E.A.U. et Oman affluent.

 

  1. PHOTO / Extrait livre-objet: dessin d’enfant et argent E.A.U.

 

Après le dépaysement social des Émirats où vingt pourcent de la population seulement a la nationalité, les droits civiques et la richesse du pétrole, je retrouvai un certain équilibre en Oman. Les Omanais travaillent: il y a des chauffeurs de bus omanais, des nettoyeurs de rues omanais, des jardiniers omanais. Les femmes portent des vêtements colorés et ne sont pas complétement cachées derrière une multitude de voiles, à part dans les régions plus reculées où elles portent le classique abaya et le masque de cuir appelé burqa. J’y ai trouvé une chaleur humaine et une grande beauté.

Je voulais faire un film sur les vieux bateaux de pêche, les dhows. Après avoir durement négocié la location d’un 4X4, je pris la route pour Sour et s’amorça une longue traversée du désert. La mienne.

 

Culture. Ce qui est de l’ordre de l’acquis et non de l’inné, ce qui est commun à un groupe d’individus. En anthropologie, la culture désigne l’ensemble des croyances, connaissances, rites et comportements d’une société donnée.

 

J’étais en décalage culturel. Déjà avec le concessionnaire de Mascate, peu confiant de louer son Pathfinder à une voyageuse solitaire. À Nizwa, où je m’étais fait jeté des pierres par des hommes mécontents que je filme des femmes masquées (à qui j’avais évidemment demandé la permission). À Quryat où, tout à coup, une foule apparue de je ne sais où, alors que je m’étais arrêtée pour faire une photo et m’entraîna dans une maison pour regarder Rambo à la télévision avec eux… J’étais certainement une curiosité pour les gens, mais je sous-estimais à quel point nos références étaient distantes.

Encore une fois sur la route, je m’arrêtai pour photographier une magnifique gorge dans la montagne quand à nouveau mon 4X4 fut automatiquement encerclé par les badauds du village. Deux jeunes hommes en dishdasha et coiffés d’un kumma vinrent me dirent que j’étais à Tiwi Shab et qu’en amont de ce que je venais de photographier se cachait une merveille qu’il fallait absolument que je découvre: le Wadi Shab. La nuit tombait, je voulais continuer ma route jusqu’à Sour, mais ils insistèrent pour m’offrir l’hospitalité et m’emmener au Wadi Shab le lendemain. Bon, d’accord.

Salem me conduisit chez lui et son ami Joma nous accompagna. Ils avaient vingt ans tous les deux. L’espace qui servait de salle à manger et de salon se trouvait sur le toit de la maison, un genre de terrasse aménagée avec un petit coin de cuisine éclairé au néon où travaillaient la mère et la sœur. Elles vinrent timidement me saluer, sans me regarder, et retournèrent aussitôt préparer notre repas. Nous avons mangé tous les trois et les femmes sont restées dans la cuisine. J’étais déçue, car je n’avais pas encore réussi à m’approcher des Omanaises. Nous ne parlions pas la même langue, mais Salem et Joma auraient pu traduire. Cependant elles m’ignoraient du regard et je commençais à sentir un malaise. Puis, Joma se leva pour nous dire bonsoir. Salem se leva à son tour et me dit que nous aussi nous allions nous coucher, car nous avions une longue randonnée le lendemain. Il me demanda si j’avais un sac de couchage, je lui dis que oui. Il prit le sien et me dit:

– «On y va! On prend ton 4X4?»

Interloquée, je ne comprenais pas:

– «On va où? Je croyais que tu m’avais invitée chez toi? Je peux dormir ici sur la terrasse, c’est très bien

– «Non, nous allons à la plage.»

Sur ce, Joma fit un clin d’œil à Salem et nous quitta.

– «Oui, mais moi je veux dormir ici sur le toit.»

En retrait je pouvais deviner la mère et la sœur qui observaient la situation discrètement. Salem me dit:

– «C’est impossible, on ne peut pas dormir ici. On va à la plage.»

J’avais compris. Le regard fuyant des deux femmes, le sac de couchage de Salem, le clin d’œil de Joma: j’étais la prostituée. L’occidentale de 25 ans qui voyage seule, sans homme, à l’opposé des femmes du même âge au village qui avaient déjà plusieurs enfants. Salem et Joma n’en avaient jamais rencontrée, ni la mère ni la sœur d’ailleurs. J’étais piégée. Dans un petit village côtier en bordure du désert la nuit.

– «Bon. On va dormir à la plage.»

La lune était pleine ou presque, il faisait relativement clair sur la plage déserte où nous nous sommes installés. Salem était visiblement nerveux. Installant mon sac de couchage sur le sable, je lui dis:

– «C’est vrai, nous avons une très longue journée demain, une bonne nuit de sommeil nous fera du bien! D’ailleurs, je suis épuisée. Bonne nuit!»

Je feignis de m’endormir très vite. Lui faisait les cents pas sur la plage et ne savait pas trop quoi faire. Alors il finit par se coucher et dormir lui aussi. Et je pus m’endormir à mon tour…

Le lendemain matin, le petit déjeuner préparé par la mère et la sœur nous attendait, ainsi que Joma. J’étais franchement mal à l’aise devant celles qui me servaient à manger sans me regarder. J’aurais voulu leur dire pourquoi j’étais là, quels étaient mes rêves, mes espoirs, mes peurs, leur raconter le monde que je découvrais. Bref j’aurais aimé partager ce petit déjeuner avec elles pour qu’elles s’ouvrent et se racontent. Et qu’elles voient qu’elles se trompaient sur mon compte.

Voyager seule comme femme ouvre les portes. Vulnérabilité pour certains, curiosité ou exotisme pour d’autres, les gens font confiance. Paradoxalement, voyager seule dans une société patriarcale comme l’Oman rural m’isolait des femmes. Les contacts humains que j’avais étaient pour la plupart masculins, le monde des femmes m’était fermé. C’était une réalité difficile à accepter, mais je n’avais pas le choix parce que je n’avais pas le luxe du temps. La Course, c’était rapide. Trop pour espérer franchir certaines barrières culturelles et changer les perceptions. Lenteur ne rime malheureusement pas avec télévision, car il fallait inévitablement toujours retourner où se trouvait le bureau DHL. Il n’y en avait pas à Tiwi Shab.

Nous remontions le wadi, le soleil plombait, il faisait chaud sous mes vêtements longs. Tout en marchant, je remettais en question le fait de m’être aventurée dans la montagne avec Salem et Joma. Jusqu’ici tout allait bien, mais jusque quand? Salem me disait sans cesse que j’étais une très bonne amie, que je lui écrirais du Canada et que je reviendrais à Wadi Shab. Je leur proposai de faire demi-tour, car je voulais reprendre ma route vers Sour.

– «Nous sommes presqu’arrivés, on ne peut pas faire demi-tour maintenant!», insistèrent-ils.

Et puis, je me retrouvai face au sublime. Une piscine d’eau limpide taillée dans le roc et entourée de dattiers, un ciel azur, le silence. C’était magnifique. Je m’étais promis de ne pas me baigner, mais c’était plus fort que moi: je plongeai toute habillée. Salem et Joma nagèrent jusqu’à la paroi de la falaise en me faisant signe de les suivre. Je découvris une fissure dans la pierre juste assez large pour y passer la tête et se laisser flotter jusqu’à l’intérieur d’une grotte où se déversait une chute. C’était d’une grande beauté, j’étais émerveillée.

Quand Joma me prit le bras, je réagis spontanément en disant:

– «Qu’est-ce que tu fais là? Je croyais que nous étions des amis à présent? Que fais-tu de notre amitié? Je suis profondément déçue!»

Complètement pris au dépourvu et confus, les deux s’excusèrent maintes fois. Ils n’avaient apparemment jamais touché le bras d’une femme et ne savaient pas quoi faire devant ma réaction qui remettait en question l’amitié qu’ils souhaitaient tant avoir avec l’Occident. Il était temps de rentrer.

Arrivés au village, Salem et Joma étaient déçus que je veuille partir et essayaient de me convaincre de faire un film sur le Wadi Shab. Je pouvais l’imaginer ce film que j’aurais aimé tourner: le village et ses gens, les sons du quotidien, la gorge dans la montagne qui aboutit au sublime et un sentiment d’étrangeté au milieu de cette beauté. Rester pour le film? Mon instinct me disait de partir. J’étais l’élément incongru dans ce contexte et ma simple présence induisait un rapport ambigu avec les gens. Je ne pouvais rien y changer, simplement respecter cette culture en quittant les lieux.

 

Culture ou nature? La culture est une libération des instincts. C’est grâce à la culture que l’homme peut acquérir liberté, responsabilité et moralité. Toutefois, on peut penser que la culture est le développement de la nature par et de l’homme. Comme la société, la culture fait partie intégrante de la nature humaine.

 

  1. PHOTO / Extrait de plan de montage / sketch de montage film bilan Tortues / Oman

 

Mon but était d’aller faire un film sur les dhows à Sour. Sur ma route le long de la côte, j’avais vu les hommes rentrer de la pêche au thon en fin de matinée. Je m’imaginais donc partir avec des pêcheurs aux aurores et rentrer quelques heures après. J’arrivai à Sour à l’heure de la sieste. Il faisait chaud et le port était désert. Je marchai sur le chantier de bateaux quand j’aperçus les hommes qui se reposaient à l’ombre des charpentes de dhows en construction. Personne ne parlait anglais et après une heure de gesticulations, un homme me fit signe de le suivre. Il m’emmena chez le propriétaire d’un bateau qui parlait anglais. Je passai une autre heure à essayer de le convaincre d’accepter de m’emmener en mer avec son équipage pour faire un film et il finit par aquiescer.

– «Rendez-vous dans une heure sur la plage», me dit-il.

Etonnée, je lui dis:

– «Mais vous ne partez pas demain à l’aube?»

– «Non, nous partons dans une heure, nous allons lancer nos filets et on attend toute la nuit jusqu’à demain matin.»

Je le remerciai et lui dis à plus tard. Ce n’était pas tout à fait ce que j’avais imaginé. Je me rendis tout de même au rendez-vous avec mon équipement, à reculons. Au moment d’embarquer dans le petit bateau à moteur avec d’autres pêcheurs, j’ai jeté un coup d’œil au dhow ancré plus loin dans la baie. Il y avait au moins une vingtaine d’hommes sur le bateau, nous partions pour minimum douze heures et allions attendre toute la nuit. Je voyais maintenant pourquoi l’homme avait trouvé inhabituel que j’insiste autant pour les accompagner. À la dernière seconde, je prétextai un rendez-vous oublié et je partis en m’excusant humblement. Gut feeling again. Lui ne comprenait plus rien et se mit à m’insulter. Et il avait raison. Mais moi aussi j’avais raison de partir…

Je repris la route du désert et mis le cap sur Ra’s al-Had, une plage où venaient pondre chaque jour plus de 150 tortues vertes. Le soleil descendait tranquillement à l’horizon et j’étais toujours dans le désert quand je fis une crevaison. Je n’avais jamais changé la roue d’une voiture avant, mais étais bien déterminée à l’apprendre, je n’avais pas le choix. Sauf qu’il n’ y avait pas de cric dans la voiture! J’étais donc condamnée à attendre dans le désert qu’une bonne âme se pointe à l’horizon. J’eus la chance qu’un 4X4 s’arrête avant la tombée de la nuit, avec quatre hommes qui m’aidèrent gentiment à changer ma roue.

J’arrivai finalement à Ra’s al-Had dans la nuit, épuisée. Ma tente était la seule du camping à part celle des gardiens, la lune était pleine, c’était surréaliste. Je me levai avant le soleil pour assister à un spectacle magique que je n’ai jamais revu ailleurs: des tortues géantes finissant d’enterrer leur ponte nocturne avant de retourner à la mer et en même temps, l’éclosion de centaines d’œufs sur la plage. J’étais seule au milieu de toutes ces tortues, mastodontes et minuscules, qui avançaient lentement vers la mer. Couchée dans le sable, je les filmais, apaisée d’être seule au milieu de la nature. Puis la caméra s’arrêta. REC/OFF_ERROR. Sable dans la caméra. OUT OF ORDER.

 

  1. PHOTO OU TEXTE / Extrait de courrier / lettre de Christopher Bojanowski, 9 novembre 93

«C’est sûr que parfois tu dois te dire “Fuck la course! je suis tannée”, mais hang on! Et donne tout ce que tu as! N’aies pas peur de personnaliser tes films. On aimerait te voir un peu plus à la caméra. Les gens te trouvent belle, mais je trouve que tu as l’air gênée quand tu te filmes toi-même. Sois plus agressive pour montrer que tu es la meilleure! PS: essaie de faire un film drôle.»

 

J’ai traversé le désert de Wahiba en pleurant. On le nomme «le désert des déserts». Mais je ne me suis même pas arrêtée pour enfoncer mes pieds dans le sable des hautes dunes. Je ne pouvais pas cesser de pleurer, c’était l’éruption volcanique: tout ce que j’avais absorbé et refoulé pour avancer, continuer et figer un moment avec la caméra et l’envoyer à des milliers de kilomètres, tout explosait. Je n’en pouvais plus. Paradoxe du sublime terrestre et du désastre intérieur, le décalage entre la course au film et l’intensité du moment présent avait atteint son paroxysme.

 

  1. PHOTO OU TEXTE / Lettre de Martin Pelletier 11 février 1994 (fax effacé)

«Vivre délibérément: voilà un concept qui me permet de comprendre un peu pourquoi je t’aime. Tu sais ce que tu veux dans la vie et tu fais ce que tu dois pour l’atteindre. C’est une grande qualité je crois. Nous avons trop souvent tendance à être mou. Tu vis délibérément, mais ce n’est pas tout. Car tu es de ce petit groupe restreint qui savent vivre délibérément sans tout ravager sur leur passage.»

 

L’instinct c’est être en contact avec soi-même. C’est notre côté animal, celui qui ressent, qui s’accroche, qui réagit et qui s’adapte. Le retour au quotidien m’a fait réaliser à quel point la vie en société étouffe notre instinct. Je ne me suis jamais retrouvée seule comme je l’ai été pendant ce voyage, à la fois invincible et vulnérable. Cette bulle qui me protégeait m’avait donné des antennes et j’avais physiquement l’impression d’être connectée à tout ce qui m’entourait. Je ressentais les gens et les événements et les décisions se prenaient spontanément, sans raisonnement ou discussion. Le compromis est nécessaire quand on se met au diapason de la vie en société. Mais cette force intuitive et animale n’a resurgi que quelques fois, alors que je voyageais seule. Et quand j’ai donné naissance, ultime moment d’introspection.

 

Artefact

Artefact. Objet fabriqué par l’homme qui se distingue d’un autre provoqué par un phénomène naturel. Structure ou phénomène d’origine artificielle ou accidentelle qui altère une expérience ou un examen portant sur un phénomène naturel.

 

  1. PHOTO / Extrait livre-objet / page moine Thaïlande (train, amulettte, argent, dessin)

 

Signe de temps, les bouts de fax archivés se sont effacés et plusieurs sont aujourd’hui illisibles. Qu’à cela ne tienne: je les garde, ils témoignent de cette époque. Ils font partie de la boîte noire de mon voyage.

 

  1. PHOTO OU TEXT / Extrait de courrier / Fax à Jean-Louis Boudou, envoyé de Bornéo Indonésie

Salut Boudou. J’attends toujours le face à face ultime avec l’orang-outan. (After the monks, the monkeys). Quel humour glacé et sophistiqué, mesdames et messieurs…

 

  1. PHOTO OU TEXTE / Extrait de courrier: Fax de Jean-Louis Boudou, réalisateur, reçu en Terre de Feu

«Bonjour chérie et bienvenue à Rio Grande! Tout d’abord, garder le moral, tout est dans l’état d’esprit… Toi qui a fréquenté le bouddhisme de si près! Voici quelques nourritures terrestres, à toi de faire le reste! Je t’embrasse fort, et veux-tu ben me dire: qu’osse ça donne d’aller au bout du monde???»

 

Monde

Monde. Ensemble de tout ce qui existe, de façon réelle et concrète. La Terre. La nature, ce qui constitue l’environnement des êtres humains. Ensemble des êtres humains vivant sur la Terre. Milieu, groupe social défini par une caractéristique, un type d’activité. Ensemble de choses ou d’êtres formant un tout à part. Ensemble de choses abstraites, de concepts du même ordre, considéré globalement. Écart important, grande différence.

 

Dépayser. Faire rompre ses habitudes à quelqu’un en le mettant dans un pays, une région très différente de ceux où il habite par le décor, le climat, les habitudes. Troubler quelqu’un, le désorienter en le changeant de milieu et en le mettant dans une situation qui lui donne un sentiment d’étrangeté.

 

La quête du dépaysement continue de faire partie de moi. Voyager, vivre à l’étranger, parler trois langues différentes à la maison et une langue étrangère au travail : mon quotidien est ponctué de dépaysement. À priori inconfortable, c’est un balancier qui oscille entre déstabilisation et stimulation mais qui penche toujours vers la force d’attraction de l’inconnu. Ce qui me permet de découvrir à nouveau, continuellement.

À l’image de ma pratique artistique transdisciplinaire dont je redéfinis constamment les balises, la quête du dépaysement me donne l’ouverture d’esprit nécessaire pour anticiper la recherche et la création avec des individus d’horizons opposés, que ce soit avec des patients psychiatriques dans un hôpital, des habitants d’un quartier urbain inconnu ou des chercheurs scientifiques en informatique et en neuroscience. Cela dit, le plus difficile pour moi est de répondre à la question : « Qu’est-ce que tu fais comme métier ? » A-t-on vraiment besoin d’une étiquette, si ce n’est que pour se distinguer dans une société où les rôles sont généralement clairs et définis ? Artiste, réalisatrice, designer, chercheure scientifique, globe-trotter, femme ou maman, c’est tout ça et c’est un peu l’héritage du voyage.

 

Le voyage continue, le Voyage de la Vie. Et la vitesse de croisière accélère exponentiellement. Si le voyage forme la jeunesse, c’est d’abord parce que le voyage est un état d’esprit. Pour moi, c’est une façon d’appréhender le monde : apprendre à regarder en changeant de point de vue et surtout, apprendre à écouter. Je crois que si j’arrive à être en voyage dans mon propre quotidien, à trouver l’extraordinaire dans le banal et rencontrer pour la première fois ce que je connais par cœur, je réussirai à préserver cette jeunesse longtemps. En écrivant, j’ai pensé à mes petits garçons qui liront ce texte un jour et que c’est aussi la jeunesse qui forme le voyage. La redécouverte de l’enfance et le temps qui passe me nourrissent des questions essentielles qui me gardent en vie. Et être en voyage, c’est être en vie.

 

Merci 

À ceux qui m’ont accueillie Magella de Natashquan (Québec) / Brunella Voisin Samanie, Marcia Gendron Gaudet (Louisiane USA) / Gaetano Pesce, Perry (New-York USA) / Hamid Chaudry (Aéroport de Heathrow Londres) / Bui Brattaberg, Ria Torgard et leurs enfants, Jan Klovstad (Îles Féroé) / Viorica Roman, Radu Big, sa famille et ses amis, Doina Pernes, Paltin Nottara et Indira Pop, Peter Krausz et sa femme, Maria Popla, Théodosie Turdor, les veuves et les gitans de Sapinta, les religieuses du monastère de Dragomirnei (Roumanie) / Halit Ucan (Turquie) / Céline Carbonneau (Egypte) / Frédéric Grosjean (Emirats Arabe Unis) / Marie-Paule et Bertrand Deyzac, leurs enfants, la nanny et le jardinier, Joma Saeed, Salem Rashidhamould, sa mère et sa sœur, Tim et Martha Hatch, Mary Rasmussen, Rashid Al-Mabi (Sultanat d’Oman) / Ajay Shankar, Suresh Chandra et sa famille (Inde) / Danielle Rheault, Xavier Oudin et leurs enfants, Jean-Claude Neveu et ses amis Hmongs, Ajhan Passano, les moines de Wat Pah Na Na Chat et Kondanno (Thaïlande) / Biruté Galdikas, les gens du Camp Leakey et les orangs-outans  (Indonésie) / Yves Gravel, Robert Keating et Suzanne Guy, l’homme au veston et sa famille, les ouvriers de Tokyo Biken & Co. et ceux de l’Awagami Factory (Japon) / Pablo Costa, Ely et Jean Trotta et leurs enfants, Monica Perèz, les gens de l’Estancia Maria Behety et les gauchos de la Pampa (Argentine) / Jorge Luis Arguëllo, Mara et leurs filles, André César et Carla Vigorito, Jean-Pierre Courtadon, Arnaud Courtadon et sa famille (Brésil) et tous les autres dont le nom s’est malheureusement effacé de mes archive…. À ceux qui m’ont accompagnée et encouragée tout au long du voyage (…et après !) Martin Pelletier, Carole Frève, Nathalie-Anne Bojanowski, Christopher Bojanowski, Terry Dimock, Maman, Daddy, Charlie, Bonne-Maman, Jean-Guy et Louisette Pelletier avec Véronique et Paul, Julie Duguay, Geneviève Després, Roch Landry, Patrick Rimond, David Fuchs, biensûr Fast, et tous ceux que je ne connais pas et qui m’ont écrit pendant le voyage… À l’équipe de La Course Jean-Louis Boudou, Claude Morin, Jocelyne Champagne, Denis Gathelier, Pierre Therrien et les fans inconditionnels ! Mercixxxxxxxxxx